Age
et performance dans la course à pied
Une
analyse statistique de coureurs masculins en Suisse
Rodolphe
Schlaepfer
Mars
2015
Avec
une contribution de Manfred Mletzkowsky
Manfred Mletzkowsky, 80 ans, Tour du Pays de Vaud, Etape de
Mézières 2014
Source : http://www.tourpaysdevaud.ch/galerie/;
Copyright : TPV - Josette Bruchez
Résumé
Le but du travail est
de répondre aux questions suivantes:
- Que peut-on dire, sur la base de 10 courses suisses, sur
l'évolution de la participation des
coureurs âgés de plus de 60 ans?
- Quelle est, pour
les éditions Morat-Fribourg des années 1997 et 2014, l'influence de l'âge sur
la performance des coureurs masculins?
- Comment se présente
l'évolution des performances d'un coureur ayant participé 41 fois à
Morat-Fribourg?
Pour les deux
premières questions, l'étude est basée sur une approche transversale qui
consiste à observer à un moment donné le temps de course de l'ensemble des coureurs
couvrant toutes les catégories d'âge ayant terminé la course.
La troisième question
est une étude longitudinale d'un coureur
ayant relevé ses temps de course pour toutes ses participations à
Morat-Fribourg.
Il apparaît, sur la
base des 10 courses suisses analysées, qu'en 15 ans environ, la proportion des
coureurs masculins de plus de 60 ans ayant terminé une course a augmenté de
près de 50%.
La relation entre la
performance et l'âge, résultant des courses Morat-Fribourg des années 1997 et
2014, montre que la
perte moyenne de performance n’est pas la même sur toute l’étendue de l'âge des
coureurs. La régression segmentée
met en évidence l'existence de deux âges de rupture:
- 36 et 56 ans pour
1997
- 39 et 64 ans pour
2014, donc décalés par rapport à 1997.
Jusqu'au premier âge
de rupture, le changement dans la performance est négligeable. A partir du
premier âge de rupture la diminution de la performance est significative (28.8,
respectivement 22.6 sec par année d’âge pour 1997 et 2014) et elle devient
beaucoup plus forte dès le second âge de rupture (73.7, respectivement 79.7 sec
par année pour 1997 et 2014).
Au niveau de l’ensemble
de coureurs, l’âge n’explique qu’environ 10% de la variation de la performance
entre coureurs.
L'analyse des résultats
du coureur Manfred Mletzkowsky a également permis
d'identifier chez lui 2 âges de rupture, le premier à 64 ans et le second à 76
ans.
Table des matières
Résumé
1. Introduction
2. Objectifs
3. La course Morat-Fribourg
4. Méthodes
5. Résultats
6. Conclusions et discussion
7. Limites du travail
Remerciements
Bibliographie
1. Introduction
Il
est aujourd’hui acquis que les personnes âgées de 60 à 75, voire 80 ans, vivent
en meilleure santé qu’autrefois (de Rosnay J., Servan-Schreiber J.L., de Closets F. et Simonnet D., 2005.
Une vie en plus. Essais). On peut dès lors se poser la question si cette
évolution se traduit par des modifications des performances sportives des
athlètes âgés de plus de 60 ans.
La
question de l'influence de l'âge sur la performance sportive a fait l'objet de
nombreuses publications, concernant aussi bien les facteurs physiologiques que
les aspects purement statistiques.
Parmi
les facteurs physiologiques, deux jouent un rôle important : la fréquence
cardiaque maximale (FCM) et la consommation maximale d’oxygène (VO2max,
exprimée en ml par kg de masse corporelle et par min). Plusieurs études ont mis
en évidence la diminution de ces deux facteurs avec l’âge (par ex. Louis et al.
2012). Le VO2max semble diminuer linéairement avec l’âge, 10% par décade après
l'âge de 25 ans chez les personnes sédentaires.
La
fréquence cardiaque (FC) influence le débit cardiaque, c. à d. la quantité de
sang éjectée vers l'ensemble de l'organisme. La fréquence cardiaque maximale
(FCM) décline avec l'âge d'environ 1 battement par min par an. (Louis et al., 2012).
Une
formule approximative est souvent utilisée pour décrire la relation entre la
FCM et l’âge : FCM = 220 – âge. A titre d’exemple, la VO2max de Bill
Rodgers lors de son marathon réalisé en 2 h 9 min 27 s, était de 78 ml/kg/min.
Il
est bien connu que les performances sportives dépendent aussi en partie de
l’âge (Sultana, 2011). Ceci est aussi vrai pour la
course à pied, en particulier les courses d’endurance (voir par exemple Knechtle et al. 2012). A titre d’exemple, mentionnons un
des résultats de Romer et al. (2014). Ils ont étudié
l’âge et la performance de participants à des ultra-marathons allant de 50 à
1'000 km. Leur travail a montré que pour les hommes, l’âge des 10 coureurs les
plus rapides était de 34 ± 6 ans pour
des courses de 50 km, 32 ± 4 ans
(100 km), 44 ± 4 ans (200 km) et 47 ± 9 ans (1'000 km). En d’autres termes, plus les courses sont longues, plus l’âge des meilleurs augmente. Une
autre étude (Jokl et al. 2004) a montré que, pour la
période allant de 1983 à 1999, le taux de participation au marathon de New York
des athlètes de plus de 50 ans augmente plus que celui des plus jeunes, ceci
aussi bien pour les hommes que les femmes. Selon Lepers
et Cattagni (2011), toujours pour le marathon de New
York, entre 1980 et 2009, le temps de course des athlètes masculins de plus de
64 ans a diminué de manière significative (P<0.01).
Le
but de l'étude est de contribuer à la compréhension, pour la Suisse, du rôle
statistique de l'âge dans la course à pied. La motivation pour ce thème vient
du fait que je cours depuis une cinquantaine d'années et que, au fil du temps,
j'observe non seulement un changement physique (voir photo ci-dessous!), mais
aussi une diminution de mes performances. La question que je me pose est de
savoir si cette influence de l'âge peut être quantifiée.
Il
existe en Suisse une grande quantité de données sur les courses à pied. Elles
sont librement accessibles sur Internet. Ceci, selon la course, depuis la fin
des années 1990 ou le début des années 2000. On y trouve en particulier l’année
de naissance et le temps de course pour chaque athlète ayant terminé la course.
Les informations disponibles permettent donc d’étudier la relation statistique
entre la performance et l’âge des coureurs. Pour des raisons de temps, seuls
les hommes sont traités.
Photo:
Le même coureur en 1980 et en 2014
2. Objectif
L'objectif
du travail n’est pas de traiter l’influence des facteurs physiologiques sur la
performance en course à pied, mais de répondre, à l’aide de méthodes statistiques,
aux questions suivantes:
2.1. La
proportion des athlètes masculins de plus de 60 ans, terminant une course, par
rapport au nombre total, augmente-t-elle entre les années A et B, A dépendant
de la course et B étant 2014? Pour cette question, 10 courses suisses ont été
sélectionnées, de manière à incorporer des distances allant de 10 à 100 km.
2.2. Pour les athlètes
masculins des courses Morat-Fribourg de 1997 et 2014:
-
La performance des personnes de plus de 60 ans s’améliore-t-elle ?
-
Quelle est la relation entre la performance et l’âge?
-
Les modifications de la performance avec l’âge sont-elles les mêmes en 2014
qu'en 1997?
-
Y a-t-il une différence de la modification de la
performance entre les athlètes de moins de 60 ans et ceux de plus de 60
ans ?
-
Y a-t-il une différence de la modification de la
performance entre les athlètes les plus rapides et les plus lents ?
2.3. Quelle
est, pour Manfred Mletzkowsky, un athlète dont nous
connaissons les résultats de ses 41 participations à Morat-Fribourg, l'évolution
de son temps de course en fonction de son âge?
3. Les courses
prises en considération
3.1. Les courses
choisies pour l'objectif 2.1.
Course |
Début |
Distance
km |
Δh positive m |
100 km
Bienne |
1958 |
100 |
0 |
Jungfrau
Marathon |
1992 |
42 |
1829 |
Lausanne
Marathon |
1993 |
42 |
0 |
Lausanne
Marathon |
1993 |
21 |
0 |
Greifensee
Lauf |
1979 |
21 |
0 |
20 km
Lausanne |
1981 |
20 |
393 |
Morat-Fribourg |
1933 |
17.2 |
290 |
Kerzerslauf |
1979 |
15 |
216 |
20 km
Lausanne |
1981 |
10 |
50 |
Lausanne
Marathon |
1993 |
10 |
0 |
3.2. La course
Morat-Fribourg
La
course Morat-Fribourg a été créée en 1932 par Adolphe Flückiger,
peintre bernois, et Beda Hefti, ingénieur en génie
civil. La course devait commémorer le messager qui a couru le 22 juin 1476 de
Morat à Fribourg pour annoncer la victoire des confédérés sur Charles le
Téméraire. Elle est organisée par le club athlétique de Fribourg. Tout d’abord
réservée aux hommes, ce n’est qu’en 1977 que les femmes furent acceptées
officiellement ! La distance était de 16.4 km jusqu’en 1976 (arrivée vers
le vieux tilleul), puis de 17,15 km dès 1977 (arrivée au haut de la route des
Alpes) et enfin 17.17 km à partir de 1996. La dénivellation positive est
d’environ 280 m. Le nombre des inscriptions a connu son maximum en 1985 avec un
total de 16'338. Ce nombre a régulièrement diminué depuis, pour repartir à la
hausse autour des années 2000. En 2014 il y a eu 11'724 inscriptions et 10'725
coureurs et coureuses classés, toutes courses confondues. Le record de la
course est de 50’28,1’’ pour les hommes (Kipyatich
Abraham, Kenya, en 2014). Chez les femmes le record est toujours détenu par la
regrettée Franziska Rochat-Moser en 58’51,0’’.
Des
informations supplémentaires sont données sur le site web de la course :
http://www.morat-fribourg.ch/francais/course.aspx
4. Méthodes
4.1. Approche
générale
Deux méthodes sont
utilisées pour l'analyse de la relation entre la performance y et l'âge t
(Y=f(t)): la méthode transversale et la méthode longitudinale.
Avec
la méthode transversale, la relation y=f(t) est obtenue sur la base des
observations faites à un même moment donné (jour de la course) sur un ensemble
d'individus dont les âges t1, t2, etc. couvrent la
période étudiée. Dans le cas des courses à pied, on aura, le jour de la course,
le temps et l'âge de tous les coureurs ayant passé la ligne d'arrivée. La
relation Y= f(t) obtenue est une moyenne sur tous les individus observés. Elle
ne permet aucune conclusion sur un coureur particulier. Les études
transversales permettraient
théoriquement de séparer l’effet de l’âge des autres facteurs d’influence,
comme par exemple la génétique ou l'intensité de l'entraînement, ceci à
condition de les avoir mesurés, ce qui n’est en général pas le cas. L’erreur
résiduelle qui en résulte provient des différences entre individus concernant
ces facteurs non observés, ce qui rend les études transversales beaucoup moins
précises que les études longitudinales. Leur avantage réside dans le fait qu’en
matière de course à pied il existe en général un grand nombre d’individus,
plusieurs centaines à plusieurs milliers par course. C’est grâce à ces nombres
élevés de cas qu’il est tout de même possible de tirer des conclusions
intéressantes concernant l'effet de l'âge sur la performance.
Par opposition à la
méthode transversale, la méthode longitudinale suit dans le temps un individu
donné, pendant une période déterminée. La relation Y=f(t) est donc obtenue pour
le coureur considéré, sur la base des observations faites à ses différents âges.
Cette
technique permet une analyse de la relation performance vs âge du coureur,
étant donné ses gènes, sa condition physique, sa stratégie d’entraînement et
bien d’autres facteurs personnels. Les études longitudinales, qui ne sont rien
d’autre que des mesures répétées sur un individu donné, sont donc plus
précises. L'erreur résiduelle ne contient pas la variation due aux facteurs
mentionnés. Par contre, il peut être
nécessaire de tenir compte d'une possible auto-corrélation
des mesures faite sur le même individu. Le désavantage des méthodes
longitudinales est l’investissement en temps qu’elles nécessitent. Par exemple,
si nous voulons connaître l’évolution de la performance d’un athlète donné
entre 20 et 80 ans, il faut avoir les données de l’athlète sur une période de
60 ans, ce qui est rarement possible.
4.1. Collection
des données
Pour
la plupart des courses organisées en Suisse, les résultats sont publiés sur
Internet, soit en format HTML soit en format PDF. Elles sont donc publiques. Une
course X peut être considérée comme un échantillon de taille N individus tiré d’une population, cette population étant l’ensemble
inconnu des coureurs susceptibles de prendre part à la course X. L’échantillon
des coureurs terminant la course n’est pas un échantillon aléatoire au sens
statistique du terme, mais nous pouvons admettre que les performances
individuelles ne sont que peu corrélées entre elles.
Lors
de l’élaboration de la matrice des données à partir d’Internet, tous les cas
dont l’âge n’y figurait pas ont été éliminés. Cette situation concernait
environ 5% des cas au début de l’âge Internet, et a disparu pour l’année 2014.
Les
résultats de Morat-Fribourg se trouvent sur Internet depuis 1997, en format HTML. Pour l’analyse statistique, il
nous a fallu obtenir ces résultats en format Excel. Il est possible de
transformer les résultats HTML en format Excel. Mais la direction de la course
Morat-Fribourg nous a facilité la tâche en mettant gracieusement à disposition
les données sous forme de tableaux Excel. Nous les en remercions. Ces données
ont été traitées selon la méthode transversale.
Pour l'analyse
longitudinale, nous avons contacté Manfred Mletzkowsky,
un coureur expérimenté qui a participé 41 fois à Morat-Fribourg. Manfred a eu
l'amabilité d'accepter un entretien et de nous fournir ses résultats.
4.2. Méthodes
spécifiques
Les
variables analysées, le temps de
course (Tsec, en sec) et l’âge des coureurs (Age, en
années) ont été calculées sur la base des données disponibles. Le temps de
course indiqué sur Internet est en heure, minute et seconde. Il a été
transformé en secondes (Tsec). L’âge (Age) est dérivé
de l’année de naissance.
Toutes les analyses et graphiques ont été faits avec le logiciel R (R Core Team, 2013).
Le
diagramme de dispersion est utilisé pour
la présentation graphique des résultats. Le temps de course est représenté en
ordonnée et l’âge en abscisse.
Calcul des
proportions
des coureurs de plus de 60 ans ayant terminé différentes courses autour de 2000 et en 2014, puis test de la différence
de ces deux proportions avec le test de t.
Calcul de l’âge
moyen et du temps de course moyen des coureurs des catégories d’âge
(≦60 à <65) et (≦65 à <70).
Régression simple pour la
tendance générale de la relation "temps de course" vs
"âge " ( y = a + b x, où a est
l'ordonnée à l'origine et b la pente de la droite).
Régression polynomiale
cubique
pour un meilleur ajustement du diagramme de dispersion.
Régression
segmentée
(Muggeo, V.M.R. 2008) pour l’estimation du ou des
points de rupture. Un point de rupture étant défini ici comme un âge après
lequel la perte de performance par année de vieillissement s'accentue
brusquement.
Régression
quantile
(Koenker, R. 2013) pour le 5% des coureurs les plus
rapides et le 5% des coureurs les plus lents. Ces pourcentages sont
conditionnels à l'âge.
La pente b des différentes
droites calculées donne la modification moyenne de la performance par année de
vieillissement ((∆Tsec/an, en sec/année), en
d'autres termes la diminution moyenne (pente négative) ou l'augmentation
moyenne (pente positive) du temps de course par année de vieillissement.
Le coefficient de
détermination R2 est une mesure de la qualité de l'ajustement du
diagramme de dispersion. Il exprime, pour le modèle donné (droite simple,
modèle polynomial, régression segmentée) le pourcentage de la variation du
temps de course expliqué par l'âge.
5. Résultats
5.1. Proportion
des athlètes masculins de plus de 60 ans terminant la course, par rapport au
nombre total, entre les années A et B
Les articles
mentionnés plus haut s’accordent à dire qu’à l’étranger, l’augmentation de la
participation de coureurs âgés a été proportionnellement plus forte que celle
des coureurs plus jeunes. La question est de savoir si ce phénomène est
également observable en Suisse.
Le tableau 1 contient,
pour 10 courses suisses :
Pour chacune des deux
années choisies pour la comparaison (la première A, dépendant de la course, la
seconde B étant 2014) :
- Le nombre total N
de coureurs masculins ayant terminé la course,
- Le nombre N>60
de coureurs plus âgés que 60 ans ayant terminé la course,
- Le pourcentage
%N>60 des coureurs de plus de 60 ans ayant terminé la course, et
- La différence de ce
pourcentage entre les deux années de référence, en valeur absolue (D%abs) et en valeur relative D%rel
(en rouge).
Tableau 1 :
Course |
Années A et B=2014 |
N |
N>60 |
%N>60 |
D %abs |
D %rel |
100 km de Bienne |
1999 |
1348 |
174 |
12.91% |
+1.86% |
+ 14% |
2014 |
846 |
125 |
14.77% |
|||
Jungfrau Marathon |
1999 |
2516 |
148 |
5.88% |
+2.20% |
+ 37% |
2014 |
3046 |
246 |
8.08% |
|||
Lausanne Marathon 42 k |
2001 |
1619 |
58 |
3.58% |
+2.70% |
+ 75% |
2014 |
966 |
51 |
5.28% |
|||
Lausanne Marathon 21 k |
2001 |
1567 |
69 |
4.40% |
- 0.07% |
- 2% |
2014 |
3209 |
139 |
4.33% |
|||
Greifensee Lauf |
2003 |
4948 |
154 |
3.11% |
+2.13% |
+ 68% |
2014 |
4794 |
251 |
5.24% |
|||
20k Lausanne |
1999 |
1504 |
39 |
2.59% |
+2.93% |
+ 113% |
2014 |
2870 |
101 |
5.52% |
|||
Morat Fribourg |
1997 |
5385 |
230 |
4.27% |
+2.40% |
+ 56% |
2014 |
5127 |
342 |
6.67% |
|||
Kerzers Lauf |
1999 |
1956 |
112 |
5.72% |
+3.87% |
+ 68% |
2014 |
3576 |
343 |
9.59% |
|||
10k Lausanne |
1999 |
1327 |
34 |
2.56% |
+1.31% |
+ 51% |
2014 |
4285 |
166 |
3.87% |
|||
Lausanne Marathon 10k |
2001 |
955 |
45 |
4.71% |
+0.59% |
+ 13% |
2014 |
2812 |
149 |
5.30% |
|||
Moyenne |
|
|
|
|
|
+ 49% |
Pour
9 des dix courses retenues, le pourcentage des hommes de plus de 60 ans ayant
terminé la course a augmenté entre la première année de référence A (1997,
1999, 2001 ou 2003 selon la course) et 2014. Cette augmentation exprimée en
pourcentage relatif, va de 37 à 113%, avec une moyenne de 49%. La seule course
n’ayant pas connu cette augmentation est le Lausanne Marathon 21 km, avec un
pourcentage pratiquement inchangé entre 2001 et 2014.
Ces
résultats sont clairs et confirment la tendance observée à l’étranger ((Jokl et al. 2004).
5.2. Temps de
course moyen des coureurs des catégories d’âge (≦60 à <65) et (≦65 à <70)
Cat d’âge |
1997 |
2014 |
||
N |
T moyen |
N |
T moyen |
|
(≦60 à <65) |
147 |
5856 ± 69 |
162 |
5943 ± 73 |
(≦65 à <70) |
64 |
6287 ± 118 |
105 |
6285 ±84 |
Le tableau
précédent montre que, pour les catégories d’âge (≦60 à <65) et (≦65 à <70), il n’y a pas de changement significatif du
temps de course entre 1997 et 2014. Ce résultat ne confirme donc pas ceux de Lepers et Cattagni (2011).
5.3. Analyse transversale
des courses Morat-Fribourg 1997 et 2014 hommes
5.3.1.
Introduction
Les
diagrammes de dispersion des résultats des années 1997 et 2014 sont la base de
l’analyse. Chaque point représente un coureur, en rouge les coureurs de plus de
60 ans. La ligne verte verticale et celle horizontale représentent la moyenne
de l’âge et du temps de course. La ligne segmentée noire est l’ajustement du
nuage de points par la régression segmentée, qui donne, pour 1997 et 2014, deux
âges de rupture. Les deux droites verticales noires passent par les deux âges
de rupture. La ligne rouge, très proche de la régression segmentée, est
l’ajustement polynomial cubique du nuage de points. Les deux droites brunes représentent
la tendance du 5% des coureurs les plus lents (droite du haut) et du 5% des
coureurs les plus rapides (droite du bas).
5.3.2. Diagramme
de dispersion pour 2014
Légende
pour le diagramme de dispersion 2014, avec les erreurs standards :
-
En vert: Age moyen = 40.8 ±
1.7 ans, Temps de course moyen = 5518 ±
12 sec
-
En jaune:
-
- Ligne droite: tendance générale, b = 17.20 ± 0.91 sec/année (***), R2
= 0.0650
-
En rouge:
-
- Courbe Polynomiale cubique: R2 = 0.0878
-
En noir: Régression segmentée (R2 = 0.0878)
-
- Age de rupture: AR1 = 39.02 ± 1.92 ans, AR2 = 63.79 ± 1.45 ans
-
- Pente avant AR1 : b1 = 2.19 ± 2.64 sec/année (ns)
-
- Pente entre AR1 et AR2 : b2 = 22.64 ± 2.75 sec/année (***)
-
- Pente après AR2: b3 = 79.67 ± 12.38 sec/année (***)
-
En brun:
-
- Pente pour le 5% des coureurs les plus rapides: b05 = 12.54 ± 1.40
sec année (***)
-
- Pente pour le 5% des coureurs les plus lents: b95 = 23.96 ± 2.60
5.3.3. Diagramme
de dispersion pour 1997
Légende
pour le diagramme de dispersion 1997, avec les erreurs standards :
-
En vert: Age moyen = 39.6 ±
1.5 ans, Temps de course moyen = 5160 ±
11 sec
-
En jaune : Ligne droite, tendance
générale, b = 21.60 ± 0.91 sec/an, R2 = 0.0942
-
En rouge:
-
Courbe Polynomiale cubique: R2 = 0.1263
-
En noir: Régression segmentée (R2 = 0.1263)
-
- Ages de rupture: AR1 = 36.04 ± 1.21 ans, AR2 = 55.80 ± 1.35 ans
-
- Pente avant AR1 : b1 = - 2.88 ± 2.98 sec/année (ns)
-
- Pente entre AR1 et AR2: b2 = 28.80 ± 2.68 sec/année (***)
-
- Pente après AR2: b3 = 73.71 ± 8.13 sec/année (***)
-
En brun:
-
Pente pour le 5% des coureurs les plus rapides: b05 = 21.27 ± 1.31
sec/année (***)
-
Pente pour le 5% des coureurs les plus lents: b95 = 22.93 ± 2.72
sec/année (***)
5.3.4. Comparaison des années 1997 et 2014
Paramètre |
1997 |
2014 |
Différence |
Nbre de
coureurs |
5385 |
5127 |
- 258 |
Age moyen (année) |
39.6 ± 1.5 |
40.8 ± 1.7 |
+1.2 |
Temps moyen (sec) |
5’160 ± 11 |
5’518 ± 12 |
+ 358 |
P(>60) (%) |
4.27 |
6.67 |
+ 56 % |
b ± sb
(sec/an) |
21.60 ± 0.91 |
17.21 ±0.91 |
- 4.39 |
R2 linéaire |
0.0942 |
0.0650 |
|
R2 cubique |
0.1263 |
0.0878 |
|
R2 segmentée |
0.1263 |
0.0878 |
|
Age de rupture 1 |
36.04 ± 1.21 |
39.02 ± 1.92 |
+ 2.98 |
Age de rupture 2 |
55.80 ± 1.35 |
63.79 ± 1.45 |
+ 7.99 |
b1 ± sb1 |
-2.88 ±2.98 |
2.19 ± 2.64 |
+ 5.07 |
b2 ± sb2 |
28.80 ± 2.68 |
22.64 ± 2.75 |
- 4.16 |
b3 ± sb3 |
73.71 ± 8.13 |
79.67 ± 12.38 |
+ 5.96 |
b05 ± sb05 |
21.27 ± 1.31 |
12.54 ± 1.40 |
|
b95 ± sb95 |
22.93 ± 2.72 |
23.96 ± 2.60 |
|
Explication
des termes
Nbre de coureurs : Nombre de coureurs masculins ayant terminé
la course, après élimination de données incomplètes
Age moyen :
Moyenne
de l'âge des coureurs ayant terminé la course, avec l'erreur de la moyenne
Temps moyen :
Moyenne
du temps de course des coureurs ayant terminé la course, avec l'erreur de la
moyenne
P(>60) : Pourcentage de
coureurs de 60 ans et plus ayant terminé la course, par rapport au nombre total
de coureurs ayant terminé la course
b ± sb (sec/an) : Perte moyenne de
temps de course, sur l'ensemble de tous les coureurs, pour une augmentation de l'âge d'une année,
avec son erreur
R2 : Coefficient
de détermination exprimant la proportion de la variabilité totale du temps de course
expliquée par les modèles linéaire, cubique et segmenté
Age de rupture :
Age
correspondant à une accélération relativement abrupte de la perte de
performance par année de vieillissement
b1 ± sb1 : Augmentation
moyenne du temps de course, pour les coureurs dont l'âge est inférieur à l'âge
de rupture, pour une augmentation de
l'âge d'une année, avec son erreur
b2 ± sb2 :
Augmentation
moyenne de temps de course, pour les coureurs dont l'âge est supérieur à l'âge
de rupture, pour une augmentation de
l'âge d'une année, avec son erreur
b05 ± sb05 :
Augmentation
moyenne du temps de course pour le 5% des coureurs les plus rapides
b95 ± sb95 :
Augmentation
moyenne du temps de course pour le 5% des coureurs les plus lents
5.3.5. Interprétation
La
proportion des coureurs de 60 ans et plus a passé de 4.27 % en 1997 à 6.67% en
2014, soit une augmentation de 56% en 17 ans.
L'âge
moyen des coureurs a légèrement augmenté, passant de 39.6 ans à 40.8 ans.
Le
temps de course moyen a passé de 5160 sec (1h 26min) à 5518 sec (1h 32 min).
Peut-être en raison de l’augmentation de l’âge moyen ?
Sur
l’ensemble des catégories d’âge, l'augmentation moyenne en temps de course,
pour une augmentation de l’âge d‘une année, est de 21.60 ± 0.91 sec/an en 1997,
et de 17.21 ± 0.91 sec/an en 2014. Cette moyenne générale sur l'ensemble des
coureurs doit cependant être relativisée. Comme on peut le voir sur les
diagrammes de dispersion annexés, l'ajustement d'une droite sur l'ensemble des
catégories d'âge est loin d'être bonne dans les extrémités.
En
effet, comme le montre l'analyse plus fine du diagramme de dispersion avec un
modèle polynomial cubique, la perte moyenne de performance n’est pas la même
sur toute l’étendue de l'âge des coureurs. La courbe se relève nettement dans
les âges plus élevés. La polynomiale cubique est plutôt difficile à
interpréter. Il est possible de la remplacer par des segments de droite à
l’aide de la régression segmentée. Cette dernière identifie des « Points
ou Ages de rupture ». Le modèle a identifié deux âges de rupture. Pour
1997, le premier se trouve à 36.04 ± 1.21 ans et le second à 55.80 ± 1.35 ans. Pour 2014, le premier âge de rupture se
situe à 39.02 ± 1.92 ans et le second à 63.79 ± 1.45 ans. Cela signifie que
l'âge de la première accélération de la dégradation de la performance se
manifeste trois ans plus tard en 2014, alors que l’âge de la seconde
accélération de la dégradation est retardé d’environ 6 ans par rapport à 1997.
Notons que la qualité de l’ajustement par une régression segmentée, comme le
montre les coefficients de détermination (R2 = 0.1263 pour 1997 et = 0.0878
pour 2014), est pratiquement identique à celle de la polynomiale cubique.
Il
est intéressant de noter que l’influence de l’âge sur la performance, avant le
premier âge de rupture, pour 1997 comme pour 2014, est négligeable et
statistiquement non significatif. Il en va autrement pour les pertes de
performance après le premier et le second âge de rupture.
En
1997, entre 36.0 et 55.8 ans, l’augmentation moyenne du temps de course pour
une augmentation de l’âge d’une année est de 28.80 ± 2.68 sec/an soit environ
une demi minute par an. Cela signifie qu’en moyenne, entre 36 et 56 ans, soit
en 20 ans de course à pied, un coureur perd environ 10 min. La dégradation de
la performance s’accentue encore une fois après le second âge de rupture,
puisqu’elle passe, à partir de 55.80 ans, à 73.71 ± 8.13 sec/an, soit plus
d’une minute par année de vieillissement.
En
2014, entre 39.02 et 63.8 ans, l’augmentation moyenne du temps de course pour
une augmentation de l’âge d’une année est de 22.64 ± 2.75 sec/an soit moins
d’une demi minute par an. Cela signifie qu’en moyenne,
entre les âges de 39 et 63 ans, soit en 24 ans, ans, un coureur perd 543 sec,
soit environ 9 min. Comme pour 1997, la
dégradation de la performance s’accentue encore une fois après le second âge de
rupture, puisqu’elle passe, à partir de 63.79 ans, à 79.67 ± 12.38 sec/an, soit
plus d’une min par année de vieillissement.
Les
pertes de performance en fonction de l'âge des coureurs les plus rapides et les
plus lents montrent des résultats intéressants. En 1997, ces deux catégories de
coureurs perdaient environ le même temps pour une augmentation de l'âge d'une
année: 21.37 ± 1.31 sec/année pour le 5% des coureurs les plus rapides et 22.93
± 2.72 sec/année pour le 5% des coureurs les plus lents. Il en est tout
autrement pour 2014. Le 5% des coureurs les plus rapides perdent 12.54 ± 1.40
sec pour une augmentation de l'âge d'une année, donc beaucoup moins qu'en 1997,
alors que le 5% des plus lents perdent 23.96 ± 2.60 sec/année, comme en 1997.
C'est donc comme si les coureurs les plus rapides avaient, en 17 ans, amélioré
leur "résistance" au vieillissement.
Les
résultats présentés sont tous statistiquement significatifs. Ce qui n'est pas
étonnant avec la grande taille des deux échantillons analysés (plus de 5000
coureurs chacun). Ce qui est peut-être plus surprenant est le fait que, même si
l'âge influence significativement le temps de course, il ne contribue que très
peu à expliquer les différences de performance entre les coureurs. Comme le
montre le coefficient de détermination, en 1997 seulement 12% de la variabilité
du temps de course est expliquée par l'âge, encore moins (9%) en 2014. Cela
signifie que d'autres facteurs, comme le bagage génétique, l'intensité de
l'entraînement, le poids du coureur ou les conditions météo, tous facteurs que
nous n'avons pas pu inclure dans l'étude, jouent un rôle déterminant pour
expliquer la performance individuelle des hommes à Morat-Fribourg.
Ce
genre d'étude, bien qu'en mesure de montrer des résultats intéressants,
pourrait être amélioré. Une prochaine étape serait l'analyse de la performance
des femmes en fonction de l'âge. Une autre pourrait être la prise en compte
d'autres courses afin de vérifier si les conclusions tirées pour Morat-Fribourg
peuvent être généralisées. Un troisième élément à considérer pourrait être une
combinaison de l'approche transversale utilisée avec une étude longitudinale
d'un certain nombre de coureurs.
5.4. Analyse longitudinale des données de Manfred Mletzkowsky
5.4.1. Manfred Mletzkowsky,
un coureur exemplaire
Dans le
cadre de l’étude sur la relation entre la performance en course à pied et
l’âge, j’ai rencontré Manfred Mletzkowsky, un coureur
sénior expérimenté. Il a eu l’amabilité de répondre à mes questions le jeudi 5
février 2015 à Renens. Il m’a aussi gracieusement remis les statistiques de
toutes ses courses à pied. Ces documents ont une grande valeur pour mon étude
et je lui en suis très reconnaissant.
Manfred a
81 ans en 2015. Il s’est mis à la course à pied à l’âge de 40 ans et il court
toujours. Jusqu’en 1973, il pratiquait le football, le tennis et faisait 2
fois par semaine un parcours Vita. Il croise un copain qui lui propose de
participer à Morat-Fribourg. C’est ainsi qu’en 1974, il s’inscrit pour la
première fois à cette course mythique. Depuis, il n’a pas manqué une seule fois
la course. En 2014, il y a participé pour la 41ème fois.
Manfred,
depuis sa première participation, a
vraiment pris goût à la course à pied. Alors qu’en 1974, il n’a participé qu’à
3 courses, il en a terminé pas moins de 37 en 2013, et 33 en 2014.
Les
exploits de Manfred ne se mesurent pas seulement en termes de nombre de
participations, mais aussi, et surtout, en termes de temps de course et de
rang. En 1998, à l’âge de 64 ans, avec un temps de 1h 13min 18 sec (4 min 16
sec au km), Manfred a terminé Morat-Fribourg au deuxième rang de sa catégorie.
En 2004, à l’âge de 70 ans, il termine 1er de sa catégorie (sur 40
finisseurs) en 1h 23 min 25 sec. Le nombre de podiums (c. à d. 1er,
2ème ou 3ème) obtenus par Manfred pendant sa carrière de
coureurs est impressionnant. Par exemple, en 2002, à l’âge de 68 ans, sur 30
participations, il est monté 18 fois sur le podium. En 2014, à l’âge de 80
ans, il décroche encore 2 fois une place
sur le podium.
Ces
résultats, remarquables pour un coureur « populaire », sont le fruit
de nombreux facteurs. L’un d’entre eux est l’entraînement. Manfred s’entraîne
aujourd’hui encore 4 fois par semaine, pour une distance totale d’environ 50
km, en général avec une équipe de copains, appelés les « Cambe
Gouilles ». L’entraînement en groupe est pour lui une stimulation.
Manfred a toujours été et reste un « populaire ». Il a su gérer
famille, profession et bien sûr le sport, en particulier la course à pied. Il
est marié à Emma, une épouse sportive,avec
laquelle il a eu deux filles, Nathalie et Sonja. Il a deux petits enfants. Il a
été agent de méthodes dans une entreprise produisant des pièces détachées pour
des instruments de mesures mécaniques et électroniques.
Pour
Manfred, la course à pied fait du bien. Elle permet d’oxygéner le cerveau et
maintenir la mobilité du corps. Il dit que pour lui elle est devenue comme une
drogue. Cependant, pendant sa carrière de coureur, il a aussi eu à faire à des
problèmes de santé : opération d’une hernie, arthrite réactionnelle,
genou enflé (une fois) et arthrose, mais jamais des problèmes de dos.
L’arthrose a été identifiée il y a plus de 20 ans déjà. Son médecin lui avait
alors recommandé d’arrêter la course à pied, mais Manfred a continué et il ne
le regrette pas. Pour lui, la course à pied lui a permis de maintenir
l’arthrose dans des proportions acceptables.
Manfred a
aussi des anecdotes à raconter. A l’arrivée de son premier Morat-Fribourg, en
1974, il s’est dit « Plus jamais ». On sait
ce qu’il en est advenu ! En 1975, à l’arrivée de son deuxième
Morat-Fribourg, Manfred s’évanouit en raison d’une déshydratation et se
réveille à l’hôpital. Il en tire une leçon importante : bien boire avant
et pendant la course.
C’est un
vrai plaisir que de parler avec Manfred. Son palmarès impressionnant, son
immense expérience, mais aussi sa gentillesse, la sérénité qu’il dégage et sa
modestie en font un exemple à suivre pour les plus jeunes.
5.4.2. Diagramme
de dispersion des données de Manfred
Les
temps de course que Manfred nous a remis sont exprimés en minutes et secondes
par km. Nous les avons transformés en sec par km (Tkm)
Comme
illustré par le graphique précédent, l’analyse segmentée de ces données donne,
pour la série des 41 résultats de Manfred à Morat-Fribourg :
-
Deux âges de rupture : 62.0 ± 1.1 ans et 75.6 ± 0.9 ans
-
Trois pentes :
- de 40 à 62 ans : -1.23 ± 0.28 sec/km par année d’âge
- de 62 à 76 ans : 4.44 ± 0.67 sec/km par année d’âge et
- après 76 ans : 15.03
± 2.84 sec/km par année d’âge
Le
graphique montre que, sur les 41 années de participation de Manfred à
Morat-Fribourg, la relation entre la performance (mesurée en sec par km) et
l'âge ne peut pas être représentée par
une tendance linéaire unique. Elle est caractérisée par trois périodes, très
différentes les unes des autres, avec un premier âge de rupture estimé à 62 ans
et un autre à 76 ans. Chacune de ces trois périodes peut être ajustée par une
droite, la première avec une pente négative (= amélioration de la performance),
les deux suivantes avec une pente positive (diminution de la performance),
toutes trois statistiquement significatives.
Depuis
l’âge de 40 ans jusqu’à 62 ans environ, Manfred a amélioré sa performance,
mesurée en sec/km, en moyenne de 1.2 sec/km par année d’âge. Il explique cette
tendance par le fait qu’il n’a commencé la course à pied qu’à l’âge de 40 ans
et qu’il s’est depuis systématiquement entraîné pour améliorer sa performance
(respiration 4 sur 4, entraînement par intervalles).
Aux
environs de 62 ans, la performance de Manfred a commencé à diminuer de 4.4
sec/km par année d’âge. Pour lui ce
point de rupture est dû à l’âge qui commence à faire son effet.
A
l’âge de 76 ans se manifeste une nouvelle et surprenante diminution de sa
performance, qui passe alors à 15 sec/km par année d’âge. Manfred explique
cette nouvelle rupture par un accident à vélo. Il a lourdement chuté dans un
virage, sa poitrine heurtant le guidon. Cet accident a affecté sa capacité
pulmonaire et influencé négativement sa performance en course à pied.
Relevons
aussi qu'avec le modèle de la régression segmentée, utilisé pour l'ajustement
des données de Manfred, l'âge explique 91% de la variation de sa performance à
Morat-Fribourg. Cette valeur, bien supérieure à celle obtenue par la méthode
transversale (5 à 10%), montre bien que l’analyse longitudinale, qui élimine
les différences entres coureurs, permet d’étudier l’influence de l’âge sur la
performance de manière beaucoup plus fine. En plus les résultats obtenus sont
valables au niveau du coureur, alors que ceux de l’analyse transversale sont
des moyennes pour une population.
6. Conclusions et
discussion
Un
premier résultat intéressant est celui concernant le pourcentage des hommes de
60 ans et plus terminant la course. Il a passé de 4.27% en 1997 à 6.67% en
2014. Il a donc augmenté de près de 50% en 17 ans. Ce résultat correspond à
celui décrit par Jokl et al. (2004) pour le marathon
de New-York.
Contrairement
aux résultats de Lepers et Cattani
(2011), il n’y a pas, pour Morat-Fribourg, une amélioration de la performance,
entre 1997 et 2014, des coureurs des catégories d’âge 60-65 et 65-70.
L'effet
de l'âge sur le temps de course de Morat-Fribourg, pour les hommes, est
statistiquement significatif, aussi bien pour l'édition de 1997 que celle de
2014. Cette influence n'est pas la même sur toute l'étendue de l'âge des
coureurs. Il a été identifié deux "âges de rupture", après lesquels
il y a une subite accélération de la diminution de la performance.
En
1997 les deux âges de rupture identifiés sont 36 et 56 ans, alors que pour 2014
ils sont 39 et 64 ans, donc décalés de 3, respectivement 8 ans par rapport à
1997.
Aussi
bien en 1997 qu'en 2014, il n'y a pratiquement aucun changement du temps de
course jusqu’au premier âge de rupture (36 resp. 39
ans). Ceci parce que, jusqu'au premier âge de rupture, le changement du temps
de course moyen pour une augmentation de l’âge d'une année n'est significatif
ni pour 1997 ( -2.9
± 3.0 sec/an) ni pour 2014 (2.2 ± 2.6 sec/an).
Il
en va autrement pour les périodes après le premier âge de rupture. En 1997,
au-delà de 36 ans, la perte de performance moyenne par année de
vieillissement passe à 29 ± 3 sec/an
entre le premier et second âge de rupture (36 à 56 ans) et à 74 ± 8 sec/an à partir de 56 ans.
Cela signifie qu'entre 36 et 56 ans, donc en 20 ans, en moyenne, le temps de
course augmente d'environ 10 min. En 2014, la perte passe à 22.6 ± 2.8 sec/an à
partir de 39 ans, puis à 79.9 ± 12.4 sec/an dès l'âge de 64 ans. Cela signifie
qu'en 2014, entre 39 et 64 ans, donc en 25 ans, en moyenne, le temps de course
augmente d'à peine 10 min.
L'analyse
des coureurs les plus rapides et des plus lents montre qu'en 2014, en moyenne,
le 5% des coureurs les plus rapides, sur l'ensemble des classes d'âge, perdent
13 sec par augmentation de l'âge d’ une année, alors
que cette perte est de 24 sec/an pour le 5% des coureurs les plus lents. En
1997 il n'y a pas de différence entre les coureurs les plus lents et les plus
rapides. Pour les deux catégories, la perte de temps par année de
vieillissement est d'environ 22 sec/an.
Malgré
des résultats hautement significatifs, l'âge est loin d'être le facteur
principal de la performance. Il n'explique que 9 à 12 % de la variabilité du
temps de course entre coureurs. D'autres facteurs jouent donc un rôle plus
important (génétique, entraînement, morphologie, météo etc.).
L'étude
longitudinale montre, pour Manfred Mletzkowsky, une
amélioration de sa performance entre 40 et 62 ans, une première rupture à 62
ans et une seconde à 75 ans. Pour ce coureur, l'âge explique 97% de la
variabilité de sa performance.
7. Limites du
travail
Les
dix courses suisses examinées ont permis de confirmer une notion connue, celle
de l'augmentation de la proportion des coureurs masculins âgés de plus de 60
ans terminant une course. Il serait
aussi intéressant de savoir si cette tendance est également valable pour les
athlètes féminines.
L'étude
transversale de la relation entre la performance et l'âge n'est basée que sur
deux éditions de Morat-Fribourg et les hommes seulement. Il n'est donc pas
permis de généraliser les résultats obtenus. Pour ce faire, il faudrait
compléter l'analyse par d'autres courses et aussi y inclure les femmes.
L'analyse
longitudinale des données pour Morat-Fribourg de Manfred Mletzkowsky
illustre bien le pouvoir d'information de la méthode. Elle mériterait d'être
étendue à d'autres athlètes, aussi bien masculins que féminins.
L'analyse
statistique du temps de course en fonction de l'âge, aussi intéressante
soit-elle, ne permet pas de tirer des conclusions sur les causes des phénomènes
identifiés. Pour cela, il faudrait inclure dans l'étude des facteurs
physiologiques influençant la performance.
Remerciements
- Manfred Mletzkowsky,
pour avoir accepté un entretien et pour nous avoir fourni ses données.
-
Les organisateurs des courses à pied, en particulier Morat-Fribourg, qui
mettent les résultats des courses à pied sur leur site Internet et les rendent
donc disponibles pour une étude comme celle qui vient d’être présentée.
-
Bjorn Robroek et Constant Signarbieux,
tous deux coureurs à pied et aussi collègues et amis à l’EPFL, pour leurs
commentaires et suggestions.
-
Francine Collet Poffet, pour sa relecture attentive
du travail.
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10 mars 2015